Lettre à La Presse

L’article d’Alain Brunet dans la presse du 19 Avril, intitulé “Modestes Juno…” m’a profondément dérangé. Même après l’avoir lu maintes et maintes fois pour essayer d’y voir un peu moins de négatif, je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est un article au ton arrogant, et plutôt dévalorisant par rapport aux Juno et tout son contenu.

Je me demande pourquoi il y a autant de dérision de la part de la presse québecoise quand c’est le moment de parler d’un événement national organisé par le Canada anglais? Et pourquoi toujours ce besoin de comparer le Canada aux Etats-Unis, quand on sait dès le départ que la population au Canada est environ 10 fois moins nombreuse que celle aux États-Unis, et que par conséquent le Canada n’a pas du tout le même genres de budgets que ceux de notre pays voisin? Et malgré cette différence remarquable dans les budgets, le Canada reste un des rares pays qui donne tellement d’argent à ses artistes pour pouvoir les aider à se produire, tandis que notre pays voisin ne donne jamais aucune aide financière à leurs artistes.

Pourquoi quand il est temps de parler des États-Unis seulement, nous sommes les premiers à les rabaisser, mais quand c’est le temps de parler du Canada anglais on met tout d’un coup les États-Unis sur un piedéstal pour qu’à côté de ce dernier le Canada ait l’air de rien?

Pourquoi faut-il toujours comparer?

“Les résultats de ventes de Ginette Reno et Maxime Landry rivalisent avec ceux des Canadiens anglais les plus performants” dit M. Brunet. Oui, en effet. Mais les résultats de ventes de la plupart des artistes québécois ne se limitent qu’au Québec et ses environs. Mais ça, ça n’est pas mentionné…

On dit qu’au Québec on est une espèce en voie de disparition, une des dernières races de monde qui achète encore des disques. C’est vrai, et je trouve ça génial le support que le Québec donne à ses artistes. J’en sais quelque chose, j’adore jouer au Québec, j’adore les gens, et je trouve que les gens au Québec sont de loin bien plus chaleureux et réceptifs que dans tout le reste du Canada. Reste que les Juno est un événement National, donc pour tout le Canada, et que si on mesure les ventes d’un artiste qui ne vend qu’au Québec, et un autre artiste qui vend autant de disques mais de façon répartie sur tout le pays (alors que des disques aujourd’hui ça ne se vend plus beaucoup) je dirais que la réponse sur lequel des deux est le plus populaire au niveau national est plutôt claire!

Au lieu de se plaindre, il me semble que l’on devrait être fièrs que deux artistes Québécois se soient quand même retrouvés en nomination parmi un aussi gros nom que Michael Bublé par exemple, qui reflète aussi à un niveau international! En lisant la presse francophone sur les Juno ces derniers jours j’ai eu le sentiment qu’on croit vraiment que les Juno se forcent pour intégrer le Québec en donnant quelques nominations à ses artistes, mais qu’ensuite ils s’assurent de ne pas les faire gagner juste parce qu’ils sont québécois. Voyons donc. Il y a pleins de québécois qui ont été nominés aux Juno, et même si pas tous ont gagné, il y en a que oui. Je fais partie de ceux qui ont été nominés et qui n’ont pas gagné, mais pas une seconde je n’ai pensé que c’est parce que je suis du Québec! J’ai même performé au gala samedi soir, ce qui veut dire que les Juno ont quand même demandé à une québécoise de performer… Mais ces nominés et non-gagnants, ainsi que la seule performance d’une québécoise samedi soir au gala où plus d’une trentaine de prix ont été donnés devant toute l’industrie de la musique canadienne, ça n’est pas écrit nulle part. N’est-ce pas une fierté? Peut-être pas, car je chante en anglais. Au courant de toute la fin de semaine des Juno, et ce jusqu’à hier matin, la seule chose qu’on a pu lire c’est un survol beaucoup trop rapide des quelques québécois gagnants, sans vraiment ressentir aucune fierté après-tout car on passait tout de suite au prochain appel, ce étant les nominations des artistes pour album francophone, sans perdre de temps à souligner que le prix a été donné à une Ontarienne. Et évidemment la mention de Reno et Landry nominés pour le Fan Choice, même si eux non plus n’ont pu gagner.

Donc j’en conclus que le vrai coeur du problème c’est la langue. Pas tant que les québécois soient ignorés par le reste du Canada, mais plutôt que la musique francophone ne soit pas récompensée comme elle devrait l’être. Mais le Québec, n’a-t-il pas son gala tout à lui pour ça? Le gala de l’Adisq, qui est strictement francophone d’ailleurs à part pour l’unique catégorie pour album anglophone, comme aux Juno il y a une unique catégorie pour album francophone. Mais, contrairement aux Juno, les artistes anglophones, eux, ne risquent pas de se retrouver parmi la catégorie de meilleur artiste comme la catégorie Fan Choice des Juno par exemple. Je sais que cette catégorie n’existe pas à l’Adisq, mais si elle existait, y aurait-il aussi des artistes anglophones en nomination? Non. Simplement parce qu’aussitôt qu’un artiste chante en anglais, il n’est pas éligible pour une nomination au gala de l’Adisq. Et pourtant…. il y a beaucoup d’artistes anglophones, et bilingues au Québec. Donc l’Adisq n’est pas vraiment pour les artistes du Québec finalement, mais pour la musique francophone du Québec. Et juste pour ça, je trouve que les Juno offrent bien plus, pour qu’on y retrouve Ginette Reno et Maxime Landry en compétition avec Michael Bublé, Nickelback et Johnny Reid! Moi ça me fait dire “Wow! Quel honneur!” Mais peut-être que c’est trop positif de voir ça ainsi, car dans la presse francophone on a à peine pu lire du positif au sujet des Juno…

Je me mets à la place de tous ceux qui n’ont pas assisté aux Juno la fin de semaine passée, et je me dis que s’ils ont lu l’artcile de M. Brunet, ils vont bien croire que l’événement était aussi drabe que l’article en question. Car de ne lire qu’une énumération, phrase par phrase, de chaque performance et remise de prix, sans aucune émotion ni aucun développement, à part quand c’est le temps de glisser des commentaires peu pertinents comme “Michael Bublé, ce jeune homme bien élevé que toutes les mamans aimeraient avoir pour gendre…” ça donne vraiment l’impression que l’événement était plate à mourir, en effet!

Mais j’y étais moi aux Juno, et je ne suis pas d’accord avec M. Brunet quant à ses opinions sur le gala. C’est pas parce que les journalistes québécois ne s’y identifient pas que c’est un mauvais gala. J’ai trouvé ça bien produit, impressionnant par sa grandeur, et original même, car cette année il n’y a pas eu de présentateur, donc toute la soirée les prix étaient remis principalement par des artistes, et juste ça, ça t’évite d’y passer quatre heures à écouter un présentateur qui donne lui aussi son propre spectacle en poussant des blagues à la seconde. Au courant du gala il n’y a pas eu un moment où j’ai pensé que c’est franchement un événement endormant, et que les Juno ça essaie d’être gros mais que dans le fond c’est juste un concept régional, pour reprendre quelques mots de M. Brunet… Juste entre Michael Bublé et Drake le Canada obtient assez de visibilité dans le monde entier pour rappeler aux gens où il se trouve sur la mappe. Et il n’y a pas qu’eux, la liste des artistes Canadiens aussi renommés est longue… Gagnants de Juno, ou pas.

Franchement je trouve ça injuste de lire autant de propos condescendants face à des artistes qui ont réellement un énorme succès mérité (qu’on aime leur musique ou pas là n’est pas la question), juste parce que les artistes qui chantent en français ne sont pas reconnus au même niveau! Et c’est normal que les plus reconnus soient ceux qui chantent en anglais, simplement parce que la majorité des gens dans ce pays parle l’anglais, mais ça n’enlève rien au talent des artistes qui chantent en français!

J’ai écrit cette lettre car je suis fatiguée de toujours lire et entendre toutes ces plaintes par rapport à ce qui se passe au Canada, dès que c’est hors Québec, ou pas en français. Sérieusement, on ne peut pas vivre et laisser vivre un peu?

Je suis fière de vivre à Montréal, de vivre au Québec, et partout où je vais dans le monde je parle du Québec avec grande fierté. Malgré le fait que je sois née en Italie, quand je parle de la maison c’est de Montréal que je parle. Mais ça me désole vraiment de voir à quel point il y a un grand sentiment d’infériorité qui habite les gens ici, parce que je vois ça comme du racisme. Le raciste est toujours le premier à remarquer une différence. Et au Québec, nous sommes toujours les premiers à penser qu’on est une catégorie à part et que le reste du Canada ne nous considère pas, alors que je trouve que ce n’est pas vrai. Il nous considère bien pour ce qu’on représente, c’est-à-dire seulement 1/12e de ce pays.

Misstress Barbara